La biodiversité au coeur de la ville
Le milieu urbain semble souvent en contradiction avec la biodiversité. Pourtant, malgré la prédominance des infrastructures bâties, la biodiversité y demeure présente et viable. Que ce soit sur les trottoirs ou dans les espaces verts, elle parvient à s'adapter à chaque recoin de la ville. Lorsque les écologues évoquent la nature en ville ou la biodiversité urbaine, ils se réfèrent principalement aux espèces sauvages qui colonisent progressivement nos cités. La préservation de cette biodiversité en milieu urbain offre aux habitants un lien avec la nature, contribuant ainsi à leur bien-être et à l'amélioration de leur qualité de vie. Cependant, gérer la biodiversité urbaine requiert des actions spécifiques, comme limiter la prolifération d'espèces envahissantes ou indésirables.
Dans cet article, nous aborderons des notions clés pour mieux comprendre la biodiversité urbaine, ses bienfaits pour la vie des citadins, ainsi que les moyens de la préserver.
La pollution comme obstacle à la biodiversité
Malgré la présence de la biodiversité en milieu urbain, elle est parfois menacée par différentes formes de pollution. L'une d'elles est la pollution lumineuse, notamment causée par les lampadaires. Par exemple, il a été observé que les parties des arbres exposées à une lumière intense restent vertes plus longtemps, et leurs feuilles sont les dernières à tomber. Ce phénomène s'explique par une altération des processus hormonaux, retardés de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Cependant, cette modification due à la lumière artificielle perturbe la photosynthèse, la rendant moins efficace.
D'autre part, le niveau de bruit est un autre facteur de pollution qui augmente avec l'expansion des transports et la croissance des populations humaines. Cette pollution sonore entraîne des changements comportementaux chez certaines espèces, en fonction de leurs capacités auditives et des fréquences du bruit. Par exemple, les côtes de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et de l'Afrique du Sud sont particulièrement touchées par des échouages massifs de baleines pilotes (ou globicéphales noirs), principalement en raison de la pollution sonore. Ces perturbations affectent leur orientation et leur communication, les amenant parfois à s'échouer en grand nombre.
Espèces domestiques vs espèces sauvages
La pollinisation se définit comme le transfert des grains de pollen des organes reproducteurs mâles, appelés étamines, vers les pistils, les organes reproducteurs femelles des fleurs. Ce processus est principalement assuré par des pollinisateurs tels que les abeilles ou les papillons. Il existe aujourd'hui une grande diversité de pollinisateurs participant à ce phénomène essentiel. En effet, ces derniers jouent un rôle crucial dans la production alimentaire : selon l'ONU, parmi les 100 espèces végétales qui fournissent 90 % de la nourriture mondiale, 70 % dépendent des pollinisateurs.
En milieu urbain, plusieurs aménagements sont réalisés pour favoriser la pollinisation et contribuer à la biodiversité, tels que :
- De petits aménagements comme des haies ou des prairies fleuries ;
- Des plantations spécifiques, avec un accent sur les espèces locales ;
- Une gestion efficace, incluant le contrôle des espèces exotiques envahissantes.
Cependant, le monde du vivant est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Intégrer la biodiversité en ville en introduisant divers pollinisateurs nécessite une connaissance approfondie et des pratiques adaptées. Prenons par exemple les abeilles sauvages et domestiques. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'installation de ruches d'abeilles domestiques en ville n'est pas toujours une bonne idée. En effet, cela peut entraîner une compétition pour les ressources alimentaires, notamment lorsque celles-ci sont insuffisantes, ce qui menace les autres insectes pollinisateurs.
Impact de la biodiversité en ville
"La régulation thermique assurée par les végétaux en ville peut être une question de vie ou de mort. Pendant la canicule de 2003, la mortalité a été plus élevée dans les rues les moins végétalisées."
Nathalie Machon, professeur en écologie au Muséum national d'Histoire naturelle, spécialiste l'écologie urbaine
Les phénomènes d'îlot de chaleur urbain (figure 1) sont un effet bien connu des zones densément urbanisées, où les températures sont souvent plus élevées qu'en milieu rural environnant. Ce phénomène résulte de plusieurs facteurs, tels que l'imperméabilisation des sols, l'accumulation des infrastructures en béton et en asphalte, et le manque de végétation. Ces matériaux retiennent la chaleur, augmentant ainsi la température ambiante. La biodiversité urbaine, en revanche, joue un rôle clé pour atténuer ces effets. Les espaces verts, les arbres et autres éléments naturels contribuent à réduire les températures grâce à l'ombrage et l'évapotranspiration. En plus de fournir un habitat pour la faune, ils améliorent la qualité de l'air et absorbent les eaux de pluie (réduisant les risques d'inondation).
La biodiversité urbaine apporte de nombreux bienfaits essentiels aux citadins, jouant un rôle clé dans l'amélioration de la qualité de vie et la protection de la santé. Les végétaux, en particulier, sont des alliés précieux dans la régulation de la température. Grâce à l'évapotranspiration, les plantes refroidissent l'atmosphère en transférant l'eau du sol vers l'air, tout en offrant de l'ombre. Cette capacité des plantes à modérer la température est cruciale : des écarts de température allant de 2 à 10 °C ont été observés entre des rues plus ou moins végétalisées au sein d'une même ville, démontrant l'importance des arbres et des espaces verts pour se protéger des vagues de chaleur.
En plus de leur rôle dans la réduction des températures, les végétaux jouent un rôle majeur dans la lutte contre la pollution atmosphérique. Les arbres, véritables « puits de carbone », absorbent jusqu'à 120 kg de CO2 au cours de leur vie, contribuant ainsi à réduire les émissions de gaz à effet de serre. De plus, ils captent les particules fines, limitant ainsi les effets néfastes sur la santé, tels que les maladies respiratoires. Les plantes aident également à gérer les eaux pluviales en absorbant l'excès d'eau, réduisant les risques d'inondation et de débordement des égouts, améliorant ainsi la résilience des infrastructures urbaines.
La biodiversité en ville ne se limite pas aux végétaux, elle inclut aussi les animaux qui participent activement à l'équilibre des écosystèmes urbains. Par exemple, les oiseaux et les chauves-souris se nourrissent d'insectes nuisibles comme les moustiques, tandis que les insectes pollinisateurs, comme les abeilles, jouent un rôle essentiel dans la fécondation des plantes, y compris celles des potagers. Les bactéries, quant à elles, contribuent à la régulation de la qualité de l'eau. La diversité des espèces en milieu urbain est donc un atout pour la santé publique, la sécurité alimentaire et la qualité environnementale.
Enfin, la biodiversité urbaine possède une forte dimension pédagogique et culturelle. Elle permet de sensibiliser les citadins, en particulier les jeunes générations, aux problématiques environnementales, renforçant ainsi leur engagement envers la protection de l'environnement. Les espaces verts en ville, en plus d'être fonctionnels, apportent une dimension esthétique inégalée, favorisant le bien-être et réduisant le stress des habitants, tout en offrant des lieux de détente et de contact avec la nature.
Ainsi, la biodiversité urbaine est un pilier fondamental pour une ville plus résiliente, plus vivable, et plus respectueuse de la santé et de l'environnement.
Préserver la biodiversité en ville
Avec tous les bienfaits qu'offre la biodiversité en ville, une question légitime peut se poser :
Comment préserver cette biodiversité ?
Pour préserver la biodiversité en milieu urbain, plusieurs actions concrètes peuvent être mises en place. Bien qu'elles ne soient pas exhaustives, ces initiatives offrent des pistes intéressantes pour améliorer la coexistence entre urbanisation et biodiversité.
1. La biodiversité au cœur des projets immobiliers
L'intégration d'un écologue dès la conception de projets immobiliers peut avoir un impact significatif sur la préservation de la biodiversité. Un écologue est capable d'évaluer la présence d'espèces rares ou menacées sur un site donné et de conseiller sur les meilleures pratiques à adopter pour préserver ces espèces. Il peut également orienter le choix des plantes dans l'aménagement des espaces verts, favorisant ainsi les espèces locales et adaptées aux conditions climatiques et écologiques du site. L'approche doit cependant être globale : chaque projet immobilier doit s'inscrire dans une vision d'ensemble de l'aménagement urbain, en connectant les différents milieux naturels. Cette interconnexion permet de préserver les corridors écologiques et les habitats essentiels pour la faune et la flore.
2. Développer la densité des espaces verts
La multiplication des espaces verts est une autre approche essentielle pour soutenir la biodiversité en ville. Pour maintenir des populations d'oiseaux, par exemple, il est recommandé de disposer de 10 à 35 hectares d'espaces verts continus. Or, en milieu urbain, cette norme est difficile à atteindre. Toutefois, il a été démontré que la création de petites parcelles vertes réparties dans la ville peut significativement augmenter la présence d'oiseaux et d'autres espèces. Il n'est donc pas nécessaire de disposer de grands parcs pour favoriser la biodiversité. Ce qui compte, c'est la diversité des habitats. En offrant une variété de plantes et de refuges pour les différentes espèces, on permet à celles-ci de s'alimenter, de se reproduire et d'accomplir leur cycle de vie dans des conditions favorables.
3. Intégrer la biodiversité dans les plans urbains
L'urbanisme vert, ou la conception d'une ville intégrant systématiquement des éléments naturels, est une démarche clé pour protéger la biodiversité. Les municipalités peuvent jouer un rôle actif en intégrant davantage de végétation dans leurs plans d'urbanisme. Cela peut passer par la création de parcs et jardins, mais aussi par la végétalisation des rues, des trottoirs, et même des bâtiments avec des toits et des façades végétalisés. Ces aménagements permettent non seulement de favoriser la biodiversité, mais aussi d'améliorer la qualité de vie des habitants en réduisant la pollution, en absorbant les eaux pluviales, et en offrant des espaces de détente.
Face à l'urbanisation croissante, préserver et développer la biodiversité en ville devient une nécessité pour garantir la qualité de vie des citadins et protéger les écosystèmes. En intégrant la biodiversité dans les projets immobiliers, en augmentant la densité des espaces verts, et en adoptant une approche d'urbanisme vert, il est possible de favoriser une cohabitation harmonieuse entre nature et développement urbain. Ces actions renforcent le lien entre l'humain et son environnement naturel, tout en rendant les villes plus résilientes face aux défis environnementaux à venir.
Chahrazad Melouka
Pour aller pus loin:
CONFRENCES :
Y a-t-il vraiment moins de biodiversité en ville ? : https://www.youtube.com/watch?v=SQFze87zjq4
La saleté en ville : https://www.youtube.com/watch?v=uSodYZtsnB0
LIVRE :
Où se cache la biodiversité en ville, 90 clés pour comprendre la nature en ville, Philippe Clergeau et Nathalie Machon, éditions Quae