Les femmes savantes, quand le savoir devient un acte ostentatoire

15/05/2023

Peinture: Madame de Pompadour, François Boucher

Les femmes savantes est une pièce de théâtre s'inscrivant dans le registre comique, elle fut écrite en 1672 par Molière. Loin d'évoquer seulement l'éducation des femmes, Molière dénonce un sujet plus profond et subtil qui est l'ostentation dans la recherche de la science chez certaines femmes de son époque. En effet, il était courant de rencontrer des femmes qui étudiaient le grec ou encore la physique cependant le but de cette démarche d'éducation était de nourrir un ego soif d'admiration.

La pièce de théâtre met en avant trois personnages féminins clés dont Philaminte, Bélise (sa belle-sœur) et Armande (fille aînée de Philaminte) qui se décrivent comme des femmes savantes et se permettent d'instaurer leur opinion sur les personnes qui les entourent. Henriette (cadette de Philaminte) cherche à épouser Clitandre mais, les trois « femmes savantes » s'opposent catégoriquement à ce mariage qui n'offre aucune élévation pour elles.

Dans cet article, nous proposons une analyse générale de la pièce de théâtre tout en tenant compte du contexte littéraire de l'époque. 

Le contexte littéraire

Les femmes savantes a été écrit au XVIIème siècle, de ce fait, il faut prendre en considération le contexte littéraire et ne pas comprendre cette œuvre avec un regard moderne de peur de faire des raccourcis. Cette période se présente comme l'excès de la littérature qui s'exprime à travers deux courants : le classicisme et le baroque. Le théâtre classique s'inscrivant dans le classicisme doit avoir une valeur morale qui s'introduit dans une universalité de la nature humaine ainsi, le théâtre ne doit jamais tomber dans le « pur divertissement ». L'esprit classique est l'art du goût, on doit retrouver dans les œuvres de l'équilibre, la mesure, l'ordre et la raison. Même si les œuvres Molière s'inscrivent dans le comique elles n'échappent pas à ces règles. Le baroque quant à lui, s'exprime dans la littérature par les thèmes suivants : l'amour, la mort et la nature. C'est un mouvement qui laisse développer l'imaginaire avec une multitude de figures de styles. Entre autres, l'esthétique baroque est en général représenté par son exubérance, son foisonnement et sa surcharge ornementale que ça soit dans l'architecture ou dans la littérature.

Le dualisme du corps et de l'esprit

Dès les premières pages de la pièce de théâtre, Molière pose une confrontation entre deux pensées qui s'inscrivent dans un dualisme entre le corps et l'esprit. Le rythme est lancé, deux sœurs mettent en avant deux divergences de pensée : tout d'abord celle d'Armande, qui fait l'éloge de la science et la bassesse du mariage puis Henriette qui voit son épanouissement personnel dans le mariage avec celui qu'elle aime :

Acte I, scène 1

Armande
[…]
Loin d'être aux lois d'un homme en esclave asservie,
Mariez-vous ma sœur, à la philosophie,
Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,
Et donna à la raison l'empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale
Dont l'appétit grossier aux bêtes nous ravale.

Henriette
[…]
Nous saurons toutes deux imiter notre mère ;
Vous, du côté de l'âme et des nobles désirs,
Moi du côté des sens et des grossiers plaisirs ;
Vous, aux productions d'esprit et de lumière,
Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.

Cette confrontation va durer tout au long de la pièce de théâtre, tout d'abord, Armande qui défend une opinion exagérée en dénigrant radicalement l'attachement au corps comme si l'être humain était qu' un simple esprit sans matière, de plus cette hypothèse divulgue une jalousie dissimulée par le personnage. Elle offre donc toute une palette d'argumentation pour éviter que sa sœur Henriette ne commette une erreur et se trouve dans le regret d'avoir donné la parole à son cœur.

Henriette, quant à elle, annonce une revendication claire : épouser celui qu'elle aime sans pour autant dénigrer le mérite du savoir. D'autre part, Henriette est la seule qui n'impose pas son avis à son entourage féminin mais, cherche l'acceptation des autres face à ses choix personnels.

Tout au long de la pièce de théâtre sa mère, Philaminte et sa sœur tentent de lui faire changer d'avis. Plus encore, sa mère lui souhaite qu'elle épouse un autre homme : Trissotin qui, ce dernier est connu pour ses belles paroles et son habileté dans son langage qui séduit très vite sa mère mais, en réalité ses ambitions sont tournées vers l'argent de la famille.

Henriette aura assez de clairvoyance pour déchiffrer ce qui est essentiel de ce qui ne l'est pas :

Acte V, scène 1

Trissotin
Le don de votre main où l'on me fait prétendre,
Me livrera ce cœur que possède Clitandre ;
Et par mille doux soins, j'ai lieu de présumer,
Que je pourrai trouver l'art de me faire aimer.
Henriette
[…]
Souvent nous avons peine à dire pourquoi c'est.
Si l'on aimait Monsieur, par choix et par sagesse,
Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ;
Mais on voit que l'amour se gouverne autrement.
Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement,
Et ne vous servez point de cette violence
Que pour vous on veut faire à mon obéissance.
[…]

L'arrogance à l'origine du ridicule

Un autre épisode important dans la pièce de théâtre se retrouve dans la scène 6 de l'acte II où Philaminte veut que Chrystale son époux chasse sa servante issue de la classe paysanne à cause de son manque d'éloquence et la tonalité de son vocabulaire. Face à cette scène, nous sommes confrontés au ridicule de Philaminte qui est incapable de faire preuve de compréhension et de modestie. Son comportement est clairement exagéré et manque de sagesse face à la situation qui rend sa personnalité de savante frivole et dénué de sens.

Acte II, scène 6

Philaminte
Elle a, d'une insolence à nulle autre pareille,
Après trente leçons, insulté mon oreille,
Par l'impropriété d'un mot sauvage et bas
Qu'en termes décisifs condamne Vaugelas.
Chrystale
Est-ce là…

Philaminte
Quoi, toujours malgré nos remontrances,
Heurter le fondement de toutes les sciences :
La grammaire qui sait régenter jusqu'aux rois,
Et les fait la main haute obéir à ses lois ?

Cette scène va au-delà de l'incompréhension de Philaminte puisqu'elle souligne une forme d'abus de pouvoir. C'est un exemple clair qu'une science sans sagesse est stérile. Pire encore, l'étiquette de « femme savante » est décrédibilisée. On peut faire l'hypothèse que cette scène fait référence à une confrontation entre le baroque où l'ornement et l'exagération sont très présents face au classicisme qui représente la sagesse.

L' art d'être savante

Après cette réflexion sur Les femmes savantes , on peut se poser la question suivante :

Comment être une « vraie » femme savante ?

Tout d'abord, soyons conscients de l'importance de l'éducation, de la culture et de l'instruction tout étant méfiant de tomber dans le « faux savoir ». L'ignorance est la première porte qui mène vers l'illusion de savoir, dans Lettre à Marcie de George Sand, on comprend que l'éducation participe à la construction individuelle et de ce fait, elle est primordiale : 

« Les femmes reçoivent une déplorable éducation ; et c'est là le grand crime des hommes envers elles. »

Notons que le savoir n'a pas de sexe, il est universel. Il traverse le temps, les époques, les civilisations et reste chez celui ou celle qui veut bien de lui. C'est une erreur de penser que la science appartient à une moitié de l'humanité, cette mentalité renferme une sorte de complexe, d'incompréhension voire un mal-être. Dans Enfance de Nathalie Sarraute, une œuvre autobiographique souligne cet aspect important de l'éducation :

« Jamais dans ce temps-là cela ne me venait à l'esprit, tant cela me paraissait naturel, allant de soi, mais ce qui me frappe maintenant, c'est qu'aussi bien au point de vue moral qu'au point de vue intellectuel, personne ne faisait entre les hommes et les femmes la moins différence. »

Le faux savoir est encore pire que l'ignorance puisqu'il est une mauvaise pratique du savoir, comme un nombre négatif qui, au lieu d'avoir un résultat positif, on se retrouve avec un résultat négatif. C'est ainsi, qu' on se retrouve avec un constat amer où les buts initiaux du savoir sont détournés de leurs objectifs primaires.

En réalité, plus on apprend et plus on se rend de l'immensité de la science dans ce qu'elle est et dans ce qu'elle contient. On peut la comparer à un océan infini et profond qui ne peut être limité à notre vision du monde. Cette description de la science doit nous rendre humbles et modestes, deux qualités indissociables quand on a une volonté d'apprendre et quand on veut maintenir cette soif d'apprentissage.

Au-delà de la construction individuelle de la personnalité de la femme, l'acquisition de la science a un autre rôle : la transmission. Certains esprits étroits peuvent avoir une compréhension limitée dans le rôle de la femme dans l'éducation des enfants en pensant que la science leur est inutile puisqu'elle ne sera pas pratique. Ce qui est complètement futile, puisqu' on ne peut pas donner ce qu'on ne possède pas. L'éducation d'un enfant implique d'abord d'être éduquée soi-même. Être femme savante ou avoir la volonté de devenir une femme savante n'est pas une vanité mais, une nécessité, et cela, à tous les niveaux et à tous les rôles qu'une femme peut avoir dans sa vie et dans lesquelles elle se définit. Dans son ouvrage Cinq mémoires sur l'instruction publique Nicolas de Condorcet, on retrouve cette transmission du savoir :

« Il est nécessaire que les femmes partagent l'instruction donnée aux hommes.
1. Pour qu'elles puissent surveiller celle de leurs enfants. L'instruction publique, pour être digne de ce nom, doit s'étendre à la généralité des citoyens, et il est impossible que les enfants en profitent si, bornés aux leçons qu'ils reçoivent d'un maître commun, ils n'ont pas un instituteur domestique qui puisse veiller sur leurs études dans l'intervalle des leçons, les préparer à les recevoir, leur en faciliter l'intelligence, suppléer enfin à ce qu'un moment d'absence ou de distraction a pu leur faire perdre. »

Finalement si je devais résumer Les femmes savantes c'est par cette citation de Sénèque :

« Etudie non pas pour savoir plus mais, pour savoir mieux. »

La subtilité est là, tout est dans l'intention qu'on met dans notre volonté de savoir mais, encore faut-il être conscient de ce qui nous motive !

Chahrazad Melouka

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